Le Roi et l'Oiseau - script

Ouverture : un paysage désert. Au fond, une espèce de montagne. Au milieu, un bassin carré qui a été une fontaine. L'Oiseau arrive, il se place légèrement sur la gauche.

L'Oiseau : Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs... Oh, pardon ! (Il se replace au centre) L'histoire que nous allons avoir l'honneur et le plaisir de vous conter est une histoire absolument vé-ri-dique. Parfaitement elle est véridique ! Elle m'est arrivée à moi... et à d'autres en même temps, à l'époque heureuse où j'avais bâti mon nid tout en haut du grand palais (apparition du palais à la place de la montagne) de l'immense royaume de Tachycardie.

(Il sort ; zoom sur le palais.)

A cette époque, régnait encore le roi Charles 5 et 3 font 8 et 8 font 16 de Tachycardie (portrait du Roi). Ce n'était pas un bon roi. Il détestait tout le monde, et tout le monde, dans le royaume, le détestait aussi. La solitude - et la chasse - étaient ses passe-temps favoris (galerie de sculptures représentant le Roi dans diverses activités). Enfin, pour tout vous dire, nous n'étions pas amis.

(Sculpture du Roi étranglant l'Oiseau ; carte de tir avec un dessin de l'Oiseau au centre ; le Roi s'exerce au pistolet ; aucun tir au but ; un soldat casqué s'abrite des balles perdues ; un morceau de mur tombe ; le soldat s'avance vers la carte, la poinçonne près du centre et la montre au Roi.)

(Sonnerie de cor)

(A l'extérieur, un large escalier recouvert d'un tapis rouge)

(Ailleurs, l'Oiseau triste devant une tombe; pose une fleur; épitaphe : "ici repose ma chère épouse, victime d'un malencontreux accident de chasse" ; il s'envole et disparaît.)

(L'escalier : entrée du Roi sur un trône roulant ; il est accompagné d'un petit chien ; il change sa couronne contre un chapeau de chasseur ; sonnerie de cors ; on voit une cage avec un petit oiseau à l'intérieur ; un gros bonhomme en noir à côté se tient prêt à l'ouvrir ; le petit chien vient voir la cage et se fait écarter par le gros bonhomme ; ouverture de la cage ; le petit oiseau sort, le Roi épaule, le petit oiseau rentre. Autre plan : l'Oiseau vole par-dessus les toits du palais. Le gros bonhomme secoue la cage pour forcer le petit oiseau à sortir. Autre plan : l'Oiseau arrive à son nid ; ses autres petits sont affolés ; il repart. Le petit est forcé à voler ; il est vu par les yeux du Roi, en double ; le Roi tire et manque.)

Les courtisans : Bravo, bravo ! Vive sa majesté ! Bravo, bien tiré ! (etc...)

(L'Oiseau pique vers l'assistance.)

L'Oiseau : Assassin !

(Le Roi tire; remontée de l'Oiseau vers une statue du Roi ; il a récupéré son petit.)

L'Oiseau : Parfaitement ! Je le dis, et je le maintiens ! A-ssa-ssin ! Et j'ajoute même, tu es un vilain coco ! Parfaitement, un vilain coco ! Enfin, voyons ! A quoi ça r'ssemble, des choses pareilles ! Tirer sur le pauvre monde ! Et on appelle ça : "Sa Majesté" !

(L'Oiseau fait en même temps de grands gestes que le petit imite.)

Le Roi : Misérable ! Me parler sur ce ton !

(Il tire.)

(L'Oiseau récupère son chapeau ; il est passé derrière la statue.)

L'Oiseau : Non mais, je vous l'demande ! Qui est-ce qui m'a fichu un oiseau pareil !?

(L'Oiseau s'envole, poursuivi par les tirs des soldats.)

(Le Roi remonte sur son trône, récupère sa couronne et rentre. Un majordome le suit, portant le petit chien sur un coussin.)

(Le Roi, le majordome et le petit chien sont dans un ascenseur tapissé de velours rouge. De l'extérieur, l'ascenseur a une forme d'ogive. Il s'arrête au premier étage.)

Voix (ton très monotone) : Premier étage, affaires courantes, contentieux, trésorerie, orfèvrerie, trésor public, impôts et taxes, liquidation (Le Roi fait non de la tête), solde de tout compte, famille royale (l'ascenseur reprend sa montée). Prison d'état, prison d'été, prison d'hiver, prison d'automne et de printemps, bagne pour petits et grands (l'ascenseur traverse un étage immense, murs gris, pont-levis, plusieurs étages de prisons), équipement militaire, ministère de la guerre et des hostilités, sous-secrétariat d'état à la paix, panoplies en tout genre (étage supérieur : extérieur) bonneterie, feux d'artifices, dernière cartouche, fourrure, chapeaux, képis, trompettes, brosses à reluire et tambours, gendarmerie, lavatories, manu-militari, grandes imprimeries royales (vue de l'intérieur de l'ascenseur : le Roi droit, immobile, le regard fixe), lettres de cachet, taxes et impôts, contrainte par corps (ascenseur : extérieur), oubliettes et catacombes, passementerie et casse-tête, ombrelles et parapluies, casino, tir au pigeon, musée de l'armée, jardin des plantes (L'ascenseur ralentit devant le zoo ; singes.), galerie des ancêtres, grands ateliers du roi, asile de nuit du roi, gibier de potence du roi, salon de coiffure du roi (l'ascenseur monte toujours à l'extérieur du palais, porté par une tige), pédicure du roi, bains de vapeur du roi, grandes eaux lumineuses du roi (l'oiseau s'approche du hublot de l'ascenseur et se moque du Roi), musique de chambre du roi, trompettes de la garde du roi.

(Pour éloigner l'Oiseau, le majordome accélère l'ascenseur : la couronne du Roi s'enfonce sur sa tête.)

(L'ascenseur s'arrête devant une sorte de palais miniature accroché au flan du palais principal. Le Roi monte à une fenêtre ; en face, un roi de bronze, debout sur un rhinocéros de bronze, sonne l'heure en le frappant d'un long bâton. A chaque coup, le rhinocéros branle de la tête en grinçant ; quatre coups. Le Roi redescend et disparaît.)

(Une pièce style palais de Versailles ; musique même style ; un homme avec une grosse perruque sort par la porte du fond ; les gardes regardent par la serrure et écoutent ; nous regardons aussi par ce trou.)

Voix (homme en noir) : Le nouveau peintre officiel de Sa Majesté !

(Le peintre s'incline, le Roi se cambre.)

(Le Roi prend la pose, de profil.)

(Le peintre prend des mesures, puis dessine à toute vitesse quelque chose de très flatteur : le Roi en chasseur dans un paysage de montagnes. Il manque encore les yeux. A ce moment le Roi se tourne vers le peintre : il louche. Le peintre reporte fidèlement ce regard sur le portrait.)

L'homme en noir : Oh ! (au peintre, ton choqué) Oh ! (au Roi, ton désappointé)

(L'homme en noir et le peintre se redressent, au garde à vous ; le Roi s'approche, examine le tableau d'un air mécontent. Mais il fait de grands sourires au peintre, et rit. Le bonhomme en noir se met à rire bruyamment. Le Roi le fait taire d'un regard ; il s'en va. Le Roi donne sa main à baiser au peintre, et lui remet une décoration. Le peintre se retire en faisant des courbettes. Le Roi tire brusquement sur un cordon, une trappe s'ouvre sous les pieds du peintre. Le tout sur fond de musique baroque. Deux personnages en noir couvrent le tableau et l'emmènent. Le Roi s'éloigne, en jouant avec son chien et la perruque du peintre.)

(L'Oiseau arrive à son nid avec son petit. Les autres petits manifestent leur joie en voletant.)

(L'ascenseur monte ; il n'est plus dans une cage mais au bout d'une tige. Il passe de tige en tige par des grues, arrive tout en haut du palais.)

Voix : 296ème étage, appartement secret de Sa Majesté

(Dans un sombre couloir, le Roi appuie sur un bouton dissimulé derrière un tableau : le majordome tombe dans une trappe.)

Le Roi (chuchoté) : Appartement secret, parfaitement !

(Noir ; bruit de pas dans un escalier.)

(Le Roi en haut de l'escalier, dans l'encadrement d'une porte par où entre la lumière.)

(L'appartement secret ; musique douce ; objets d'art, dont un vieillard sur un cheval, le portrait d'une bergère. La porte secrète se referme. Le Roi se verse à boire puis remonte un gramophone. On entend une vieille chanson populaire.)

Chanson : L'âne, le roi, et moi, nous serons morts demain. L'âne de faim, le roi d'ennui, et moi d'amour.

(Le Roi va regarder le portrait de la bergère. Il sourit à la bergère, puis se tourne et fait la moue : le portrait du ramoneur.)

Chanson : L'âne, le roi, et moi, nous serons morts demain. L'âne de faim, le roi d'ennui, et moi d'amour, au mois de mai.

(Le Roi regarde son propre portrait.)

Chanson : La vie est une cerise, la mort est un noyau...

(Le Roi retouche les yeux du portrait. A l'extérieur, l'Oiseau tourne autour de l'appartement secret.)

Chanson : l'amour, un cerisier.

(L'Oiseau se pose sur le rebord d'une fenêtre. On voit le portrait retouché, qui regarde enfin droit. Le Roi paraît content. L'Oiseau frappe contre la vitre, grimace, rit et s'envole. Le Roi se regarde dans une glace, et, furieux, la brise.)

(La nuit ; la lune au-dessus du palais.)

Voix de l'Oiseau : Dormez, dormez, petits oiseaux. Petits oiseaux chéris, petits oiseaux chéris ! le Roi n'a pas sommeil, et c'est bien fait pour lui. Il ne dort que d'un oeil, et remue dans son lit. Dormez, dormez, petits oiseaux. Petits oiseaux chéris, petits oiseaux chéris ! Papa est là qui veille, Papa qui veille au grain. Dormez petites merveilles, il fera jour demain. Dormez, dormez, petits oiseaux. Petits oiseaux chéris, petits oiseaux chéris ! Le Roi n'a pas sommeil, car il a peur la nuit, à cause des perce-oreilles et des chauves-souris. Dormez, dormez, petits oiseaux. Petits oiseaux chéris, petits oiseaux chéris !

(L'Oiseau berce ses oisillons puis les dépose un à un dans le nid. Pendant la suite de la berceuse, le ciel se dégage peu à peu. Des soldats font la ronde.)

(Dans l'appartement secret : le Roi dort dans un grand lit, et son chien dans un tout petit lit à côté. Un reste de feu brûle dans la cheminée.)

(La bergère et le ramoneur ; musique du thème.)

(La statue du vieillard à moitié endormi, qui marmonne dans son sommeil.)

(Dialogue chuchoté)

Voix de la bergère : Qu'est-ce que tu veux, on ne peut pas aimer tout le monde !

Voix du ramoneur : Surtout qu'on ne sait pas qui c'est.

Voix de la bergère : Et toi, qui aimes-tu ?

Voix du ramoneur : Moi, je n'aime que toi. Et toi ?

Voix de la bergère : Moi c'est pareil, je n'aime que toi aussi.

(La statue tend l'oreille.)

(On voit les deux portraits.)

La Bergère : Tu es le plus gentil ramoneur que j'aie jamais connu.

Le Ramoneur : Tu es la plus jolie bergère que j'aie jamais vue.

La Bergère : Tu en as vu beaucoup d'autres ?

Le Ramoneur : Non. Je n'en ai même pas rêvé.

La Statue : Croyez-en ma vieille expérience : je vous l'ai déjà dit cent fois, vous n'êtes pas faits (le portrait du Roi regarde la scène en soulevant le rideau qui recouvre le tableau.) l'un pour l'autre. D'abord (rire) vous n'avez pas la même couleur. Une bergère... et un ramoneur ! tt, tt... Mais pas question ! tt, tt... pas question !

(Le Portrait) (La Bergère et le Ramoneur se donnent la main. Le chien grogne.)

Le Ramoneur : Chut !

(Après quelques hésitations, le chien se recouche. Le Ramoneur saute dans le tableau de la Bergère.)

Le Portrait : Je vous aime, petite bergère, et je suis le roi. Allons, ne perdez pas votre temps avec ce charbonnier. Je suis le roi, je vous aime, nous devons nous marier. Il n'y a pas à hésiter. (à la statue :) N'est-ce pas ?

La Statue : C'est l'évidence même. D'ailleurs, c'est écrit dans les livres : les bergères épousent les rois. Pas de discussion. C'est décidé. Le mariage aura lieu ici même, dès ce soir, quand sonneront les douze coups de minuit. J'ai dit !

(Le Roi se retourne plusieurs fois dans son sommeil.)

(La Bergère et le Ramoneur enlacés. Le Portrait envoie un baiser. Le Ramoneur lui lance une pomme qui poussait dans l'arbre du tableau. Pendant que le Portrait s'essuie, ils descendent du tableau.)

La Statue : Croyez-en ma vieille expérience : ils n'iront pas loin. Ici tout est fermé à clef. Et d'ailleurs, il n'y a pas de porte.

(La Bergère et le Ramoneur se dirigent vers la cheminée : le feu s'amplifie.)

La Statue : C'est une petite escapade sans importance. Vous les verrez bientôt revenir plus vite qu'ils ne sont partis.

(Un portrait au-dessus de la cheminée représente une femme qui tient un vase rempli d'eau. Elle se met à rire. Le Portrait tire, le vase se brise et l'eau se répand sur le feu. Alors le Ramoneur guide la Bergère dans le conduit de la cheminée. Ils disparaissent, le feu reprend petit à petit. Le Portrait descend de son tableau.)

Le Portrait : Où sont-ils ?

La Statue : Si j'en crois ma vieille expérience... je crois bien qu'ils sont partis.

(Les douze coups de minuit sonnent. La Bergère et le Ramoneur arrivent en haut de la cheminée. Le ciel est plein d'étoiles.)

La Bergère : Ah ! Jamais je n'aurais cru que ça aurait pu être si beau.

(Retour à l'appartement secret : le Portrait cherche les fugitifs.)

La Statue : Rassurez-vous ! Le monde est si grand. Ils n'iront pas bien loin. Ils sont si jeunes, ils auront peur. Ils reviendront. Et puis, de toutes façons, il faut bien vous faire une raison, puisque vous ne pouvez pas sortir d'ici.

(Le Portrait fait basculer le vieux de son cheval. Le vieux se casse une jambe en tombant. Le Portrait enfourche le cheval et saute dans un lac peint sur un tableau. A ce moment, le Roi se réveille.)

La Statue : Ah ! Vous voilà, vous ! Tous mes compliments ! Vous avez fait du joli ! Vous êtes bien avancé, maintenant, avec ma jambe cassée ! Cassée ! Une jambe ! Un homme de mon âge ! Et de ma valeur ! Ça ne vous portera pas bonheur !

(Pendant ce temps, le Roi aide le vieux à se relever.)

La Statue : Je ne sais pas ce qui me retient de vous botter le derrière !

(Il le fait. Le Roi appuie sur une case de l'échiquier, le vieux tombe dans une trappe.)

(Le Portrait sort de l'eau et s'avance vers le Roi. Musique menaçante. Le chien hurle.)

Le Roi : Police, police !

(Il scande ses syllabes en appuyant sur l'alarme. Cette alarme sonne directement dans le dortoir des Policiers. Ils s'habillent rapidement et montent par une barre verticale qui disparaît dans le plafond. Dans l'appartement secret, le Portrait avance toujours. Le Roi s'enfuit, et le Portrait l'envoie à la trappe.)

Les Policiers : Longue vie à sa majesté ! (Ils s'alignent. Leur chef fait une révérence.)

Le chef (obséquieux) : A vos ordres, Majesté. Que se passe-t-il ?

(Le Portrait sera dorénavant appelé le Roi.)

Le Roi : Hmm ! Une charmante petite bergère, à qui je porte un tendre intérêt, a été enlevée par un misérable petit ramoneur de rien du tout ! Je veux ! j'ordonne ! j'exige que vous les retrouviez dans les plus brefs délais ! J'ai dit.

(La Bergère et le Ramoneur sur la cheminée. C'est le matin. Ils ne sont pas loin du nid de l'Oiseau. Les oisillons se réveillent.)

La Bergère : Oh, regarde ! Des oiseaux !

(Les oisillons viennent leur dire bonjour, pendant que le plus curieux (celui qui était dans la cage) longe le bord du toit jusqu'à une petite cage où des cerises sont attachées. Il les gobe une à une, sans entrer. Mais pour attraper la dernière, il est obligé d'entrer. La porte se referme. Il siffle désespérément. Le Ramoneur descend l'aider. Il attrape la cage au moment où elle allait tomber, et la remonte.)

L'Oiseau : Oh ! Je vous remercie, Ramoneur ! C'est très gentil à vous d'avoir sauvé mon petit garçon. C'est un petit imprudent. Il s'est fait prendre au piège, et c'est pas la première fois que ça lui arrive. Ah ! A propos, mes petits amis, je vous conseille de prendre garde aussi. C'est pas les pièges qui manquent, dans ce vaste royaume de Tachycardie ! Pièges à enfants, pièges à oiseaux, pièges à...

(Les deux amoureux ne l'écoutent pas, ils regardent avidement autour d'eux.)

L'Oiseau : Mais... Vous ne m'écoutez pas, hein ? Vous r'gardez le monde ! Hé, hé ! Evidemment, ça vaut la peine d'être vu ! Et moi qui vous parle, j'ai beaucoup voyagé ! Le monde ! J'en ai fait le tour ! J'ai vu les chutes du Niagara, les cloches de Corneville, la Tour de Londres, la Place d'Italie à Paris, le Canal de Panama, et la fête à Neuilly ! Merveilles du monde, quatrième leçon ! Allons ! Allons les enfants !

Les oisillons (chanté) : Le monde est une merveille, il y a le jour et la nuit ! Y'a la lune et le soleil, les étoiles et les bruits ! Et les couleuvres, il y en a aussi ! Le monde est une merveille, il y a le jour et la nuit ! Y'a la mer qui est profonde, y'a la Terre qui est toute ronde !

Le Ramoneur : Pourquoi est-elle ronde ?

L'Oiseau : Parce qu'elle tourne.

La Bergère : Et pourquoi tourne t'elle ?

L'Oiseau : Mais, parce qu'elle est ronde !

La Bergère et le Ramoneur : Comment tourne t'elle ?

L'Oiseau : Autour du Soleil !

(Vue sur le Soleil. On entend des gammes à toute vitesse au piano. La Terre fait le tour du Soleil et revient à sa place.)

L'Oiseau : Tiens ! C'est curieux ! D'habitude elle met au moins vingt-quatre heures... C'est parce que vous êtes des nouveaux ! Elle a fait ça pour vous faire plaisir !

La Bergère : Elle est gentille, la Terre.

L'Oiseau : Ooouais !

Haut-parleur : Allô ! Allô ! Forte récompense. Allô ! Allô ! Une charmante bergère, et un petit ramoneur de rien du tout... de rien du tout, sont recherchés par la police de Sa Majesté, le Roi Charles 5 et 3 font 8 et 8 font 16 de Tachycardie.

(Pendant ce temps, la Bergère et le Ramoneur commencent à descendre de la cheminée à l'aide de la corde, et fuient sur le bord du toit.)

L'Oiseau : N'ayez pas peur, les enfants ! Nous en avons vu d'autres !

(Toujours, le haut-parleur : Allô ! Forte récompense...)

L'Oiseau : Ne vous affolez pas ! Si les choses se compliquent, vous m'appelez. J'arrive, et j'arrange les choses !

La Bergère (de l'autre bout du toit) : Mais comment vous appeler ?!

L'Oiseau : Vous criez : "Oi-seau !" Et l'oiseau arrive !

(Toujours le haut-parleur ; la Bergère et le Ramoneur sautent jusqu'à une tourelle en se balançant au bout de la corde ; On entend un bruit d'hélicoptère : c'est une espèce de dirigeable qui porte un filet. Quatre types en noir (la police) sautent du dirigeable au-dessus de la tourelle, en tenant le filet aux quatre coins et en portant des parapluies en guise de parachutes.)

La Bergère et le ramoneur : Oi-seau ! Oi-seau ! Oi-seau !

(L'Oiseau arrive immédiatement.)

L'Oiseau : Ne restons pas là. Suivez-moi ! Tenez, l'ascenseur ! Prenez place, il va partir tout de suite. Je m'en charge.

(La Bergère et le ramoneur montent sur le contrepoids ; l'oiseau descend rapidement à l'étage inférieur, où des gardes sont en faction devant l'ascenseur.)

L'Oiseau : Messieurs ! Bergère et ramoneur, forte récompense, je suis votre homme !

Les gardes : Où sont-ils ?

L'Oiseau : Là-haut, là-haut ! Messieurs, suivez-moi !

(Les gardes montent dans l'ascenseur qui démarre, pendant que l'oiseau les accompagne à l'extérieur. A mi-chemin ils croisent, sans le voir, le contrepoids. La Bergère et le Ramoneur fuient vers le bas. Arrivés au sommet de la tourelle, les policiers se courent les uns après les autres.)

(Une salle du palais. Le Roi est assis sur son trône. Deux policiers lui amènent deux gros sacs. D'un des sacs part un éternuement.)

Les Courtisans : Longue vie à Sa Majesté !

Premier policier : Le ramoneur.

(Il pose lourdement son sac et lui donne un coup de pied. A chaque fois, un cri étouffé part du sac. (Ouille !))

Deuxième policier : La bergère.

(Il pose délicatement son sac.)

Le Roi : Ah ! ah !

(On ouvre les sacs : deux policiers couverts de poussière sortent la tête et éternuent. Les policiers qui ont amené les sacs se mettent à rire. Le Roi rit aussi. Ce que voyant, les deux policiers dans les sacs éclatent de rire à leur tour. Brusquement, le Roi appuie sur un bouton sur son trône et envoie tout le monde à la trappe. Puis le Roi s'en va en trône tamponneur (une antenne est reliée au plafond). Il tente d'envoyer aussi le chef de la police à la trappe, mais celui-ci esquive le trou. S'ensuit une course-poursuite entre le chef de la police et la trappe. Finalement, il tombe dedans mais est retenu par son parapluie. Le petit chien vient le flairer pendant que le Roi s'en va.)

(Vue extérieure : le Roi, toujours monté sur son trône, traverse des couloirs à toute vitesse.)

Un Courtisan (qui a failli se faire renverser) : Longue vie à Sa Majesté !

(Le Roi est allongé sur un divan, dans une cour du palais. Un esclave l'évente. Musique nostalgique. Un petit pantin s'avance et commence à danser. Au bout d'un moment, un Militaire s'avance et se place entre le Roi et le pantin (ce qui ne doit pas gêner le Roi puisque de toute façon il s'était retourné.))

Le Militaire : Mais enfin ! que fait la police ? On devrait la retrouver, cette petite bergère.

(Le Roi l'envoie aux oubliettes, puis repart sur son trône. Dans le palais, le petit chien se promène en tenant comme un os le parapluie du chef de la police.)

(La Bergère et le Ramoneur sont au bord des canaux. On entend un bruit de moteur : le Roi et sa police arrivent en scooter d'eau ; soudain le chien flaire quelque chose. Le chef de la police (qui s'en est tiré et espère rentrer en grâce) le suit, plein d'espoir. Le chien vient regarder le fond du canal. Quand le chef de la police est assez proche de l'eau, le chien lui passe derrière, le mord et le fait tomber. Le policier sort de l'eau tout penaud et remonte sur le scooter du Roi. Départ.)

(La Bergère et le Ramoneur sont dans une salle de musée remplie de statues. Ils font semblant d'admirer pendant que le Gardien les observe. Au bout d'une minute de ce manège, on entend l'annonce de la fuite des deux amoureux. En entendant leur description, le Gardien essuie ses lunettes. La Bergère et le Ramoneur s'enfuient, poursuivis par le Gardien. Coups du sifflet du Gardien qui essaie d'ameuter la police.)

Le Gardien : Arrêtez-les! je les tiens ! Les voilà !

(Les scooters de la police arrivent. La Bergère et le Ramoneur se cachent derrière une statue du Roi. Ils appellent.)

Bergère et Ramoneur : Oi-seau !

(L'Oiseau arrive, accompagné par un groupe d'alouettes qui entourent la statue et la reforment en plus grand. Derrière la statue passe un Gondolier.)

Le Gondolier (chanté) : Ah mon amour, toujours, toujours ! Amour, amour ! Amour, toujours, toujours (etc...).

(Le Roi est ravi.)

Le Gardien : Les voilà ! les voilà, les voilà ! Arrêtez-les ! Je les tiens ! Les voilà ! arrêtez-les ! Ils sont là !

(Il indique la statue. Le Roi, outré, repart. Les policiers qui l'accompagnent donnent quelques coups de canne au Gardien avant de le suivre.)

(Les alouettes s'envolent, laissant voir les fugitifs derrière la statue, et l'Oiseau ricanant. La Bergère et le Ramoneur s'enfuient vers un immense escalier. L'Oiseau les accompagne. Le Gardien les pourchasse, en criant : "Arrêtez-les !", et finit par perdre l'équilibre. Il déboule les dernières marches. Une foule de gens poursuit les fuyards qui arrivent juste à temps aux portes de la ville pour sauter le pont-levis en train de se fermer.)

(La Bergère, le Ramoneur et l'Oiseau arrivent à l'entrée d'escaliers en colimaçons très sombres.)

L'Oiseau : Tenez, restez là. Et n'oubliez pas ce que je vous ai dit. (Il s'envole vers le bas.) Méfiez-vous des pièges ! Pièges à Oiseaux ! Pièges à enfants ! (de très loin.)

(Une herse se referme en grinçant et bloque l'entrée haute de l'escalier. La Bergère et le Ramoneur commencent à descendre. Quand ils ont disparu dans le colimaçon, un espion camouflé apparaît contre le mur. Il siffle une sorte d'appel. Plus bas, un autre espion à visage de chouette écoute. La Bergère et le Ramoneur sont perdus dans un dédale d'escaliers. Ils finissent par arriver dans une salle ; immédiatement une porte se referme sur l'entrée. Un autre espion apparaît, avec un talkie-walkie.)

L'Espion : Allô ! allô ! Il est exactement six heures vingt-cinq minutes trente secondes. Allô ! allô ! Une bergère et un ramoneur viennent d'entrer dans la ville basse.

(La caméra remonte par toutes les vues que nous venons de voir, pendant que des haut-parleurs répètent le message.)

Message : Allô ! allô ! Une bergère et un ramoneur viennent d'entrer dans la ville basse. Allô ! allô ! Une bergère et un ramoneur viennent d'entrer dans la ville basse.

(Le Roi et sa police, toujours en scooter sur les canaux, se précipitent vers la ville basse en empruntant une cascade puis une rivière. Le message continue.)

(Sur les toits du palais, le petit oiseau s'est encore fait prendre au piège de la cage aux cerises. Il siffle désespérément, et secoue tellement la cage qu'elle tombe et se fracasse le long des canaux. Le petit chien arrive, toujours portant son parapluie. Il le pose et lèche le petit oiseau évanoui. Les autres oisillons arrivent et volètent autour de leur frère. Finalement, celui-ci se réveille, et tous s'en vont, posés deux par deux de chaque côté du parapluie.)

(Dans un immense hangar de la ville basse, le Roi monte sur une espèce de tribune de discours. Tout d'un coup on entend un bruit assourdissant : la tribune se soulève et, très lentement on voit apparaître un gigantesque robot dont la tribune initiale n'est que le chapeau. Le robot est piloté par un mécanicien placé dans la nuque. Le mécanicien éclaire l'œil du robot ; les personnes en bas font des signes comme pour les avions. Le mécanicien fait faire des assouplissements au robot.)

(Pendant ce temps, la Bergère et le Ramoneur sont un peu perdus dans la ville basse. Ils se trouvent à proximité d'ateliers et croisent des chariots sur des rails. On entend, d'abord très faiblement puis un peu plus fort, une musique d'orgue de barbarie. Les deux enfants s'y dirigent. On aperçoit, au fond, les pieds du robot par-dessus les maisons. La Bergère et le Ramoneur s'approchent d'un groupe de pauvres qui écoutent un Aveugle jouer de l'orgue de barbarie. L'aveugle se rend compte qu'il se passe quelque chose.)

L'Aveugle : Qu'est-ce qu'il y a ? (Il a une voix de poète inspiré.)

Un vieux : Des nouveaux !

L'Aveugle : Comment sont-ils ?

Un vieux : Un garçon et une fille, avec des cheveux blonds et des yeux bleus, tous les deux.

L'Aveugle : Jeunes ? Un vieux : Tout jeunes !

L'Aveugle : Bonjour, enfants. Qui êtes-vous ? D'où venez-vous ? Vous apportez des nouvelles ? Est-ce vrai que le monde existe ? Est-ce vrai que le Soleil brille ?

La Bergère et le Ramoneur (ensemble) : Oui, c'est vrai. Nous l'avons vu.

L'Aveugle : Comment est-il ?

Le Ramoneur : Il brille. Il est tout jaune !

La Bergère : Il est doré quand il se lève ; et tout rouge quand il se couche.

Le Ramoneur : Et la Lune aussi nous l'avons vue. Et nous pouvons vous dire comment ça marche !

La Bergère : L'Oiseau nous a tout expliqué !

L'Aveugle : L'Oiseau ! Ils ont vu aussi un oiseau ! Je vous l'avais dit les amis : nous sommes sauvés ! Le monde existe ! Le Soleil brille ! Et il y a aussi des oiseaux ! Ah ! la vie est belle ! Nous verrons tout cela un jour ! En avant la musique !!

(Il recommence à tourner sa manivelle. La foule se rassemble autour d'eux. Au même moment, le robot commence à détruire la ville. La foule s'enfuit. Le robot saisit des gens au hasard, les examine puis les rejette. La Bergère et le Ramoneur s'enfuient aussi. Ils arrivent dans une salle pleine de policiers, et la porte se referme.)

La Bergère et le Ramoneur : Oi-seau !

(Les policiers éclatent de rire. On voit l'Oiseau traînant un boulet à sa patte. La main du robot défonce le toit et attrape la Bergère, le Ramoneur et l'Oiseau. Ils sont montés comme sur un plateau jusqu'à la poitrine du robot, à quelque distance du Roi.)

Le Roi : Enfin, je vous retrouve ! Nous allons nous marier, sans tarder ! D'ailleurs, c'est écrit dans les livres : les rois épousent toujours les bergères.

L'Oiseau : (Il siffle d'un air de doute.)

Le Roi : Ce n'est pas possible. Vous refusez ? Mais pourquoi ?

L'Oiseau (éclate de rire) : En voilà une question ! Pourquoi voulez-vous qu'elle vous épouse, puisqu'elle aime le Ramoneur ?

Le Roi : Le Ramoneur ! le Ramoneur ! Quoi, le Ramoneur !? Encore le Ramoneur ! Toujours le Ramoneur ! Vous allez voir ce que j'en fais, du Ramoneur, moi !

(La deuxième main du robot attrape le Ramoneur par le col et l'emmène au-dessus de la cage aux lions.)

La Bergère : Non ! non !

(On entend le rugissement des lions. La Bergère et l'Oiseau sont penchés au bord de la main du robot, et observent.)

L'Oiseau (chuchoté) : Dites toujours oui, pour gagner du temps. J'arrangerai tout ça après.

(Le robot descend un peu le Ramoneur.)

La Bergère : Arrêtez ! J'accepte.

(Le Ramoneur est remonté, puis la Bergère est transportée dans la tribune avec le Roi. L'Oiseau et le Ramoneur sont maintenus prisonniers entre les doigts du robot. La Poitrine du robot s'ouvre, et un orchestre automatique entonne des variations pouet pouet sur la marche nuptiale de Mendelssohn. L'Oiseau et le Ramoneur se bouchent les oreilles de toutes leurs forces. A la fin, la poitrine se referme. (ouf !) L'Oiseau et le Ramoneur sont saisis et transportés devant une grande porte blindée ; la porte s'ouvre, ils sont poussés à l'intérieur, la porte se referme.)

La Bergère : Qu'allez-vous faire d'eux ?

Le Roi : Rassurez-vous, ils ne courent aucun danger. Au contraire, ils vont travailler. Que voulez-vous qu'il leur arrive de mieux ?

La Bergère : Mais... vous m'aviez promis qu'ils seraient libres !

Le Roi : Le travail, ma chère... c'est la liberté...

(Dans la rue, l'Aveugle chante toujours.)

L'Aveugle : La vie est belle ! Le Soleil va briller ! Bientôt nous verrons les oiseaux !

(Le robot le balance dans la cage aux lions. Il tombe dans l'arbre juste au centre.)

(L'Oiseau et le Ramoneur sont dans un atelier de travail à la chaîne. Des gardes leur font des fiches d'identité (face et profil) puis les emmènent à travers l'atelier. Cet atelier est spécialisé dans la confection de statues du Roi : une gigantesque statue, haute comme vingt hommes, est en construction, mais il y a aussi des statues plus petites de sa tête qui sont fabriquées à la chaîne. Plus loin, ce sont des moulages en bas-relief de son buste qui sont pressés dans une sorte de machine à gaufres, puis peints. Le Ramoneur est affecté à la peinture des yeux. L'Oiseau fait avancer la chaîne en marchant sur un tapis roulant.)

L'Oiseau (entre ses dents) : Patience ! Tout cela n'aura qu'un temps !

(Un gardien lui arrache une plume, se la fixe au chapeau puis s'en va.)

(L'Oiseau se met à avancer de plus en plus vite. Les peintres mettent la peinture n'importe où. Le contrôle s'affole et arrête la chaîne. On transmet l'incident au Roi.)

Le Roi : Crime de lèse-majesté. Très bien très bien très bien... Pas de clémence : article 28.

(L'Oiseau et le Ramoneur sont conduits par la police dans des souterrains) Un garde : Article 28, c'est ici.

(Il ouvre une porte et pousse les deux prisonniers à l'intérieur. Ils s'avancent dans un couloir. L'Oiseau traîne toujours son boulet qui résonne sur les dalles. Au bout d'un moment, on commence à entendre la musique de l'Aveugle. Il joue une valse très lente. Les lions et un ours blanc sont couchés tout autour de l'arbre et l'écoutent. Quand ils entendent le boulet de l'Oiseau, ils lui font "chut". Un des lions se lève et s'approche de l'Oiseau. Il ouvre la gueule et arrache le boulet. Puis il retourne se coucher.)

(A la fin de l'air : )

L'Oiseau : Bravo, bravo, bravo !

(Il applaudit.)

L'Aveugle : On a parlé... on a crié "bravo !". Qui a crié ?

L'Oiseau : C'est moi.

L'Aveugle : Qui vous ?

L'Oiseau : L'Oiseau !

L'Aveugle : L'Oiseau ! Un oiseau ! Les deux enfants l'avaient prédit ! Ça devait arriver ! Un oiseau ! Un grand oiseau ! Et avec des plumes ?

L'Oiseau : Multicolores !

L'Aveugle : Vous savez voler aussi j'espère.

L'Oiseau : En voilà une question ! Jugez-en plutôoooooot.

(Il s'envole, tourne un coup autour de la salle et vient se poser sur l'arbre. Les lions commencent à s'énerver un peu.)

L'Aveugle : J'entends le battement de ses ailes. C'est prodigieux ! Il vole !

L'Oiseau : N'exagérons rien, c'est tout naturel.

L'Aveugle : Et non seulement il vole, mais il parle.

L'Oiseau : Toutes les langues. Je suis interprète, polyglotte, mono glotte. Je connais le toucan, l'anglais, le latin, le lièvre aussi ; le chinois, le perroquet, naturellement, et le lion !

L'Aveugle : Le lion ?

L'Oiseau : Parfaitement, le lion. Je le dis, et je le prouve !

(Il prend son souffle. S'ensuit un échange de rugissements entre l'Oiseau et les lions.)

L'Aveugle : Prodigieux ! Et qu'est-ce que vous leur avez dit ?

L'Oiseau : Je leur ai dit, "Bonjour mes amis. Comment vous portez-vous ?"

L'Aveugle : Qu'est-ce qu'ils ont répondu ?

L'Oiseau : Qu'ils se portent fort mal ! Qu'ils s'ennuient beaucoup ici, et qu'ils ont surtout très faim ! Alors je leur ai dit "Bon appétit !", par pure politesse.

(Les lions se rapprochent dangereusement du Ramoneur.)

Euh, je crois que j'ai eu tort. Jouez ! Jouez tout de suite quelque chose de gai, pour l'amour du ciel ! Ou sans cela, ils vont le dévorer !

L'Aveugle : Dévorer qui ?

L'Oiseau : Mais le Ramoneur, en voilà une question !

L'Aveugle : Comment, il est là ?

L'Oiseau : Oui ! mais jouez donc !

(L'Aveugle entonne une valse qui entraîne les lions en couples autour de la piste.)

L'Aveugle : Et la Bergère ?

(Il ralentit peu à peu sa valse.)

L'Oiseau : le Roi l'a enlevée.

L'Aveugle : Pour quoi faire ?

L'Oiseau : Mais pour l'épouser ! Jouez donc, au lieu de poser des questions.

(La musique devient un air nostalgique à la trompette.)

L'Aveugle : Quel affreux malheur ! ils étaient si gentils tous les deux. Ah ! Comme c'est triste toutes ces choses !

(Les lions sont gagnés par la tristesse et se couchent. Certains ont les larmes aux yeux.)

L'Oiseau : Pas méchants, dans le fond. Il suffit de savoir les prendre... Mes amis ! en bonnes bêtes fauves que vous êtes, vous compatissez à la douleur de ce pauvre Ramoneur. C'est beau. C'est noble. Je vous en félicite.

(à l'Aveugle :) Musique, s'il vous plait, quelque chose de plus gai !

(La valse reprend.)

Mais disais-je, quand vous connaîtrez les sordides dessous de cette monstrueuse machination, alors, mes amis Lions, votre redoutable indignation ne pourra se contenir entre les quatre murs de cette sombre prison.

(Changement de scène : le palais et les préparatifs pour la noce : on taille les arbres et on étend le tapis rouge.

On nettoie les statues et on prépare un gigantesque gâteau. Dans une chambre du palais, la Bergère, en robe de mariée, attend en compagnie des petits oiseaux et du chien.)

(Retour à la prison où l'Oiseau raconte.)

L'Oiseau : Une innocente Bergère qui gardait ses moutons ! Et pour qui les gardait-elle, ses moutons ? Oh, pas pour elle, pauvre petite, mais pour vous, mes amis les lions ! Oui, pour vous, mes amis. Voilà une brave petite fille de chez nous qui garde de bons gros moutons, pour vous, mes bons amis les lions, (les lions se lèchent les babines) et soudain... Le Roi !... Que fait-il, le Roi, mes amis... hein ? Il enlève la Bergère qui gardait ses moutons. Les moutons s'enfuient aux quatre coins du monde, pauvres petites créatures, pauvres gros moutons sans défense, affolés, écheveulés, livides ! Au milieu des tempêtes, menacés par les avalanches, roulant dans les précipices ! Et ceux qui en réchappent tombent dans la gueule des loups !

(Rugissements indignés.)

Un garde : C'est pas fini ce vacarme, non ?

(Il ouvre la porte, les lions se précipitent au-dehors. C'est la grande ascension vers la ville. Le garde essaie de rattraper un jeune tigre à la traîne mais la mère le retrouve à temps.)

(Une ruelle de la ville basse.)

Un petit garçon (entre en courant) : Ils arrivent, ils arrivent, les voilà !

Un homme : Les voilà qui ?

Le petit garçon : Les oiseaux !

Un autre homme : Enfin ! Les oiseaux ! nous sommes sauvés !

(Les lions, l'Oiseau, le Ramoneur et l'ours guidant l'Aveugle paradent dans la rue.)

Des voix : Vive les oiseaux !

L'Oiseau : Parfaitement les amis ! Nous voilà, les oiseaux !

(Les vivats continuent.)

Une vieille femme à sa fenêtre : C'est curieux, je les voyais pas du tout comme ça moi, les oiseaux.

(La chambre nuptiale : le Roi vient chercher la Bergère. Les cloches sonnent.)

Le Roi : L'heure où les rois épousent les bergères vient encore une fois de sonner. Ah !

(Extérieur du palais. Les courtisans sont venus en foule. Le chef de la police inspecte ses hommes. Grande salle du palais. Le Roi et la Bergère sont debout sous un dais de velours rouge devant le maire du palais. La foule des courtisans remplit la salle. Un journaliste commente.)

Le Journaliste : Le Roi, debout avec la Bergère sous l'immense dais de velours rouge au-dessus du trône, savoure silencieusement son triomphe. Près de lui, son chien, fier comme Artaban, poudré de frais, portant perruque à la mode des petits pages du dix-huitième siècle, fait le beau. C'est l'instant solennel où le Maire du palais, s'agenouillant respectueusement devant son souverain bien-aimé, lui pose, avec un sourire d'une rare obséquiosité, la question rituelle.)

Le Maire du palais : Acceptez-vous, Sire, de prendre cette modeste bergère pour épouse ?

Le Roi (avec le sourire d'un gosse à qui on donne une friandise) : Oui !

Le Maire du palais : Acceptez-vous, modeste bergère, l'immense honneur que vous fait Sa Majesté en vous prenant pour épouse ?

(Silence)

Le Maire du palais : Acceptez-vous, modeste bergère ?

Le chef de la police, dissimulé derrière la Bergère : Oui, bien entendu, en voilà une question !

Le Maire du palais : Ils sont unis !

Le Journaliste : Ils sont unis ! Le visage de la petite reine resplendit de bonheur.

(La Bergère fond en larmes et se cache le visage dans son voile. Des vivats éclatent.)

Ecoutez la voix de l'assistance au comble de l'enthousiasme, criant "longue vie à Leurs Majestés !".

L'assistance : Longue vie à Leurs Majestés !

(L'écho des vivats se répercute dans tout le palais. On tire un feu d'artifice extraordinaire.)

Le chef de la police : Bonheur ! Santé ! Prospérité ! Et longue vie à leurs futurs petits princes

Le Roi : Merci. Vous m'avez rendu un immense service. Mais qu'il reste entre nous.

(Il tire un cordon ; le chef de la police disparaît dans une trappe.)

(Les escaliers entre la ville basse et la ville haute. Les lions montent toujours, accompagnés par la valse de l'Aveugle.)

(La grande salle du palais.)

Le Roi : Vous me voyez, Madame, le plus heureux des hommes !

(Il est interrompu par l'Oiseau qui vient d'entrer.)

L'Oiseau : Pas pour longtemps ! Sire, ne cherchez pas à fuir, tous les oiseaux sont là. Et quand je dis les oiseaux, je ne parle pas du reste.

(Les lions envahissent la salle. Le Roi s'enfuit sur le robot en entraînant la Bergère. L'Oiseau porte le Ramoneur et essaie de s'approcher du robot qui les chasse comme des mouches. L'Oiseau finit par lâcher le Ramoneur sur la plate-forme. Le Roi et le Ramoneur se battent. L'Oiseau prend les commandes du robot et commence à détruire le château et la ville.)

L'Oiseau (à ses oisillons qui volent autour de lui) : N'ayez pas peur les enfants, Papa connaît la technique.

(Les lions, l'ours et l'Aveugle redescendent, sortent de la ville et arrivent à la plaine où les habitants s'enfuient. La destruction continue ; les habitants qui ne sont pas encore partis, ainsi que le Roi, le Ramoneur et la Bergère essaient d'éviter les chutes de pierres. Tout d'un coup le robot se frappe la poitrine, ce qui relance une musique cacophonique qui accompagne le massacre. A la fin de la musique, la ville n'est plus qu'un tas de ruines avec le robot au sommet. Silence.)

L'Oiseau : Je vous l'avais dit mes enfants : quand Papa s'en mêle, tout s'arrange !

(Le robot descend, s'assied et s'adosse contre le monticule. Le Roi réapparaît sur les marches de la tribune avec un couteau. L'Oiseau/robot attrape le Roi et le souffle dans les étoiles.)

(C'est l'aube : le robot est assis sur le tas de ruines dans la pause du Penseur de Rodin. La plaine est déserte. Le petit oiseau est encore dans la cage, il essaie de voler et siffle désespérément. Le robot ouvre la cage, l'oiseau s'envole. Le robot écrase la cage d'un coup de poing. La musique du thème reprend.)

Générique.