Louis Delluc : le réalisateur
Essayiste, romancier, dramaturge, cinéaste, Louis
Delluc fut lun des pionniers de la première avant-garde cinématographique
française des années vingt. On opposait alors communément
et non sans quelque goût de polémique cinéma
davant-garde, cinéma pour lélite, à cinéma
«populaire», de consommation courante. Face à la seconde
tendance, représentée par Louis Feuillade et Henri Fescourt,
Delluc se posa en champion de la première, aux côtés
dAbel Gance et de Germaine Dulac. Il reprenait et illustrait les
théories de Ricciotto Canudo, lequel visait à imposer lautonomie
de lart du film où il voyait une synthèse des «arts
de lespace» (architecture, peinture, sculpture) et des «arts
du temps» (musique, danse).
Delluc sut imposer auprès des intellectuels, par ses écrits
plus encore que par ses films, le goût et peut-être même
le snobisme de ce que Canudo avait proposé dappeler le «septième
art». Les Allemands avaient lexpressionnisme; Delluc lança
lidée dun mouvement parallèle dit impressionniste.
Lattention est portée moins au fond quà la forme,
moins à la valeur de lintrigue quà la façon
de dépeindre plastiquement le désarroi des personnages.
On tente de rendre tangibles sur lécran le souvenir, le rêve,
la pensée... Lirruption du passé dans le présent,
le mélange des temps, les retours en arrière, le symbolisme
visuel (un peu schématique, compte tenu des moyens de lépoque)
caractériseront ses films, peu nombreux: Le Silence (1920), Fièvre
(1921), La Femme de nulle part (1922), LInondation (1923).
Convenons que tout cela a bien vieilli, bien plus, en tout cas, que les
films de Feuillade dont Delluc stigmatisait dans ses articles les «abominations
feuilletonesques». Fièvre reste néanmoins visible
par un certain sens du décor, de latmosphère portuaire,
dune poésie inspirée de Griffith. Surtout, restent
les écrits de Louis Delluc qui marquèrent une génération:
Cinéma et Cie (1919), Photogénie (1920), La Jungle du cinéma
(1921).
Louis Delluc : le critique
Dès l'apparition du cinématographe, en décembre
1895, l'invention suscite de nombreux articles dans la presse. Mais jusque
dans les premières années du XXème siècle,
c'est sous un angle technique que la nouveauté du cinéma
est commentée, le plus souvent dans des revues consacrées
à la photographie. A noter cependant, l'apparition, en 1897 de
La mise au point , l'ancêtre des petits magazines trouvés
aujourd'hui dans les salles de cinéma. Crée par Léon
Gaumont, il s'agit de la première publication publicitaire, destinée
à mettre en valeur les nouveautés qu'il propose chaque mois.
Une idée très vite reprise par son concurrent direct : Pathé.
Rien qui ressemble à la critique donc, le cinéma étant
considéré le plus souvent comme un ersatz du théâtre.
En 1912, Le Figaro publie une enquête sur le thème "le
cinéma peut-il concurrencer le théâtre ?", et
dès 1913, des informations sur la vie des studios sont intégrées
aux pagesÊ du "Courrier théâtral". Dans certains
quotidiens, une page entière est parfois accordée au cinéma,
mais sous un angle très publicitaire. Il faut donc attendre la
fin de la guerre pour voir apparaître la critique cinématographique.
Avant de devenir le premier critique cinématographique, Louis Delluc
est un homme de lettres : né à Cadouin en Dordogne, il publie
des poèmes dès l'âge de quinze ans, consacrant tous
ses loisirs à la lecture et au théâtre. Une fois monté
à Paris, il entre d'ailleurs dans la revue théâtrale,
le "Comoedia Illustré", dédaignant le cinéma,
qu'il qualifie de "mauvaises cartes postales" ou encore d' "imagerie
pour des êtres sans imagination". Autant de préjugés
qu'il abandonne en 1915, quand il voit pour la première fois "Forfaiture",
de Cecil B. De Mille. Frappé par la qualité de la mise en
scène, il abandonne tout pour se consacrer à ce qu'il considère
désormais comme un art, et qu'il défend en tant que tel,
d'abord au Film, l'aînée des revues spécialisées,
pour laquelle il écrit son premier article le 25 juin 1917. Dès
l'année suivante, il persuade le rédacteur en chef du quotidien
Paris Midi de la pertinence d'une place réservée à
la critique cinématographique. Son argument : "nous assistons
à la naissance d'un art extraordinaire" ; son premier article
: un portrait de Douglas Fairbanks. Appliquant au cinéma les méthodes
de la critique théâtrale, il collabore à Paris Midi
jusqu'en 1922, en même temps qu'il crée son propre magazine,
Le Journal du ciné-club , rapidement transformé en Cinéa,
et considéré comme la première revue de cinéma
digne de ce nom. Toutes ses critiques sont marquées par son amour
du cinéma américain, celui de Chaplin en particulier, le
plus souvent au détriment du cinéma français, à
l'exception d'Abel Gance ou de Germaine Dulac. Avec l'aide de cette dernière,
Louis Delluc passe rapidement derrière la caméra et met
en pratique son idéal cinématographique : l'histoire ne
compte pas, seules les impressions importent.
Cinéa invente le concept du numéro spécial,
consacré à un seul sujet, et accueille dans ses colonnes
deux autres grandes signatures : Lucien Wahl et Léon Moussinac.
Sur le modèle de cette revue, les grands journaux français
développent rapidement des rubriques régulières consacrées
au cinéma. A l'automne 21, la bataille est gagnée : Le Petit
Journal institue tous les vendredi une page entière consacrée
au cinéma, sans aucun lien avec la publicité. Non content
de faire partager son amour du cinéma, Louis Delluc invente plusieurs
concepts aujourd'hui rentrés dans les murs : celui de cinéaste
d'abord, mais surtout celui de ciné-club, conçu comme une
infrastructure consacrée à la sauvegarde et à la
diffusion de certains films. Une démarche qui fait de lui un pionnier
dans la lutte pour la conservation des films. Le prix Louis Delluc est
créé en son honneur en 1937, plus de dix ans après
sa mort et son dernier film, " L'inondation ". En 1949, l'Association
Française de la Critique de cinéma pose une plaque sur la
façade de l'immeuble où il est décédé,
le consacrant "créateur de la critique cinématographique".
Le Prix Louis Delluc
Considéré comme l'équivalent cinématographique
du Prix Goncourt, il est décerné pour la première
fois en 1937, par un groupe de journalistes de cinéma réunis
sous le nom de "Jeune critique indépendante" ; il s'agit
pour eux de lutter contre l'académisme du Grand Prix du cinéma
français ; ils attribuent leur premier Prix au film de Jean Renoir
"Les Bas-Fonds"...
Ce n'est pas par hasard que le nom de Louis Delluc est choisi pour ce
prix : il est en effet synonyme d'indépendance, d'exigence critique
et d'amour du cinéma. Depuis sa création, il est décerné
chaque année (sauf rares exceptions) par un jury de critiques qui
couronne ainsi le meilleur film de la production française.
Palmarès
1937 : Les Bas-fonds de Jean Renoir
1938 : Le Puritain de Jeff Musso
1939 : Quai des brumes de Marcel Carné
1945 : L'Espoir d'André Malraux
1946 : La Belle et la Bête de Jean Cocteau
1947 : Paris 1900 de Nicole Védrès
1948 : Les Casse-pieds de Jean Dréville
1949 : Rendez-vous de juillet de Jacques Becker
1950 : Le Journal d'un curé de campagne de Robert Bresson
1952 : Le Rideau cramoisi d'Alexandre Astruc
1953 : Les Vacances de M.Hulot de Jacques Tati
1954 : Les Diaboliques d'Henri-Georges Clouzot
1955 : Les Grandes Manuvres de René Clair
1956 : Le Ballon rouge d'Albert Lamorisse
1957 : Ascenseur pour l'échaffaud de Louis Malle
1958 : Moi, un Noir de Jean Rouch
1959 : On n'enterre pas le dimanche de Michel Drach
1960 : Une aussi longue absence de Henri Colpi
1961 : Un cur gros comme ça de François Reichenbach
1962 : L 'Immortelle d'Alain Robbe-Grillet ; Le soupirant de Pierre Étaix
1963 : Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy
1964 : Le Bonheur d'Agnès Varda
1965 : La Vie de château de Jean-Paul Rappeneau
1966 : La guerre est finie d'Alain Resnais
1967 : Benjamin de Michel Deville
1968 : Baisers volés de François Truffaut
1969 : Les Choses de la vie de Claude Sautet
1970 : Le Genou de Claire d'Éric Rohmer
1971 : Rendez-vous à Bray d'André Delvaux
1972 : État de siège de Costa-Gavras
1973 : L'Horloger de Saint-Paul de Bertrand Tavernier
1974 : La Gifle de Claude Pinoteau
1975 : Cousin, cousine de Jean-Charles Tachella
1976 : Le Juge Fayard, dit «le shériff» d'Yves Boisset
1977 : Diabolo menthe de Diane Kurys
1978 : L'Argent des autres de Christian de Chalonge
1979 : Le Roi et l'oiseau de Paul Grimault
1980 : Un étrange voyage d'Alain Cavalier
1981 : Une étrange affaire de Pierre Granier-Deferre
1982 : Danton d'Andrzej Wajda
1983 : À nos amours de Maurice Pialat
1984 : La Diagonale du fou de Richard Dembo
1985 : L'Effrontée de Claude Miller
1986 : Mauvais Sang de Léos Carax
1987 : Soigne ta droite de Jean-Luc Godard ; Au revoir les enfants de
Louis Malle
1988 : La Lectrice de Michel Deville
1989 : Un monde sans pitié d'Éric Rochant
1990 : Le Petit Criminel de Jacques Doillon ; Le Mari de la coiffeuse
de Patrice Leconte
1991 : Tous les matins du monde d'Alain Corneau
1992 : Le petit prince a dit de Christine Pascal
1993 : Smoking/No Smoking d'Alain Resnais
1994 : Les Roseaux sauvages d'André Téchiné
1995 : Nelly et M. Arnaud de Claude Sautet
1996 : Y aura-t-il de la neige à Noël de Sandrine Veysset
1997 : On connaît la chanson d'Alain Resnais ; Marius et Jeannette
de Robert Guédiguian
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